Haïku : du regard, par le signifiant

Ruzanna Hakobyan

 

Haïku – une poésie du regard. Une scène, un fragment, la trace d’un moment fugace, que définit Roland Barthes comme une « notation sincère d’un instant [1]». Une énonciation de 5, 7, 5 syllabes, 17 au total – écrite sur une seule ligne en japonais, trois dans la traduction.

Certaines haïkistes se comparent aux « chasseurs de papillons [2]», avec leur filet, pour attraper le « moment à célébrer [3]». Ils témoignent porter toujours avec eux un carnet et un crayon, pour noter le moment de voir. Les autres parlent d’une promenade tranquille, du moment où l’esprit se tait et l’image, sans réflexion et sans intellectualisation, apparaît.

Une des trois caractéristiques qu’introduit dans l’écriture du haïku le poète japonais du XIX e siècle Shiki est le mot-césure [kireji]. Son rôle est d’introduire une rupture, une discontinuité à l’intérieur du vers, pour engendrer une mutation du regard. Le mot-césure ne se rapporte pas à une signification précise et il n’est traduit du japonais que par un signe de ponctuation – souvent un point d’exclamation ou un retour à la ligne. Cette césure, qui fait en principe partie de tous les haïkus, sépare deux moments, considérés comme disjoints pour le haïku. Elle renvoie souvent à une image et un bruit.

« Coupant les roses
Le bruit des ciseaux !
Ciel clair de mai
 »

                        [Shiki] [4]

Pour le haïkiste, il s’agit d’une sensation auditive banale, disjointe de l’image, et ces deux éléments trouvent leur réunion grâce à l’effet de poésie.

Cependant, dans le haïku, c’est semble-t-il le sonore, le soudain bruit de ciseau, qui souvent précède l’image. Un moment où la vision se sépare, se détache du regard, où le sujet « sort du dialogue des regards [5]». C’est précisément à ce moment que le tableau apparaît. Un « pur fragment  [6]» advient et se traduit dans un poème sans interprétation et sans métaphore. Une phrase, sans le « je ». On ne sait donc pas qui parle.

Les haïkistes décrivent cet instant du haïku comme un dévoilement, un « éveil […] à l’élevé [7]», où un incident insignifiant laisse place à une énonciation.

Références

[1] Barthes R., L’empire des signes, Paris, Seuil, 2002, p. 92.

[2] Senk P., « L’esprit haïku : Une invitation à plus de vie », in Bashô, Issa, Shiki, L’art du haïku. Pour une philosophie de l’instant, Belfond, 2009, p. 12.

[3] Ibid.

[4] Senk P., « Le bruit des ciseaux », in Bashô, Issa, Shiki, L’art du haïku, ibid., p. 107.

[5] Roy D., in Intervention vers le congrès de la NLS 2024 prononcée dans le cadre du groupe d’« Échanges NLS-FCF-GCFU », inédit.

[6] Barthes R., L’empire des signes, Paris, Seuil, 2002, p. 101.

[7] Senk P., « Le bruit des ciseaux », L’art du haïku, op. cit., p. 103.